Poncharal répond à Nakamoto et s’érige contre l’abolition du manufacturier unique !
Il y a quelques jours, Shuhei Nakamoto, interviewé par Dennis Noyes, estimait que pour ramener plus de spectacle en MotoGP, il faudrait abolir la règle du manufacturier unique.
Ce sujet, qui a déjà bien divisé partisans et opposants du monopole, n’a jamais manqué de faire couler de l’encre et à y regarder de plus près, le timing de cette proposition n’est certainement pas anodin.
En effet, ce week-end, à Valence, les négociations sur le futur de la catégorie reine reprendront de plus belle. Or, les sujets à l’ordre du jour, l’ECU standard et la limitation du régime moteur sont deux idées qui horripilent le vice-président du HRC.
Son envie de réintroduire un système avec plusieurs manufacturiers semble donc plutôt être une manœuvre destinée à gagner du temps.
Nous avons contacté Hervé Poncharal qui, en plus d’être team manager de Tech3, est également président de l’IRTA, l’associations des teams, afin de connaître sa position sur cet épineux sujet.
Il en ressort une interview claire, tranchante et sans concessions dans laquelle il nous explique pourquoi il est résolument contre une telle idée. Suivez le guide !
GP i : Hervé, comme tu as certainement pu le lire, Shuhei Nakamoto s’est dit favorable à un retour à un système autorisant plusieurs manufacturiers. Que penses-tu de cette idée ?
H.P. : Nous sommes passés au manufacturier unique en 2009. Pour en arriver là, en fin de saison 2008, nous avons eu énormément de discussions et de débats où nous avons impliqué Michelin, Bridgestone, Dunlop, les constructeurs, les pilotes, la FIM, les teams managers… bref, tout le monde !
Au final, même s’il n’y a pas eu de consensus absolu, une majorité s’est dégagée en faveur du manufacturier unique.
Ce qu’il faut bien se dire et là, je suis en contradiction totale avec ce que dit Nakamoto, c’est que la règle a été adoptée pour amener une certaine équité au niveau du support fourni par le manufacturier aux différentes écuries, pour aider à avoir des courses plus amusantes mais aussi et surtout, pour réduire les coûts.
Coûts liés aux nombreux tests effectués uniquement sur les pneumatiques ?
A la fin de la saison 2008, il y avait une telle bataille entre Bridgestone et Michelin, qu’on ne travaillait plus que pour les pneumatiques.
A l’époque, les essais étaient libres et on ne réalisait plus que des essais de pneus. Systématiquement, le lundi et le mardi, après chaque Grand Prix, on menait des tests et comme lorsqu’on teste les pneumatiques, on doit figer le châssis, on ne travaillait plus sur rien d’autre…
Ce système avait fini par créer une inflation telle, que les manufacturiers eux-mêmes, à un moment, ont crié stop !
A l’époque, il y avait encore les pneus qualif, l’allocation était quasiment illimitée, on partait dans des délires complets avec du 16 et demi, du 17, on changeait également les largeurs des gommes, donc il te fallait un stock de jantes immense et bien entendu, les budgets qui vont avec !
Il y avait tellement de pneus à tester le week-end, qu’on ne pouvait jamais tous les essayer. Du coup, le lundi, on se demandait toujours si les résultats n’auraient pas été meilleurs avec ceux que nous n’avions pas essayés.
Le système avec plusieurs manufacturiers, c’était donc la mort pour les petites équipes ?
Attention, nous avons également pu bénéficier de certains avantages, notamment lorsque pendant deux saisons, nous avons reçu les budgets de chez Dunlop mais la compétitivité n’était pas au rendez-vous.
Financièrement parlant, il est impossible pour Gresini, Tech3 ou LCR de mener les tests qu’exige la présence de plusieurs manufacturiers.
En définitive, ce système participe donc à la création d’une plus grande inégalité ?
C’est évident mais pas seulement entre les petites et les grandes écuries car il en crée également au sein d’une même structure.
Les nombreux tests débouchaient sur une innovation constante et comme on peut aisément le comprendre, d’un Grand Prix à l’autre, le manufacturier ne pouvait pas produire assez de pneus pour l’ensemble de ses pilotes. On se retrouvait donc avec des pneus A pour le premier pilote, des B pour le second et des C pour les autres.
Finalement, la position de Shuhei Nakamoto, en plus d’aller à l’encontre de la réduction des coûts, est également un peu égoïste ?
Revenir à un système avec plusieurs manufacturiers ferait exploser les coûts du MotoGP, que nous essayons de contenir et ne créerait pas plus de spectacle. Et en effet, c’est assez égoïste.
Shuhei Nakamoto, comme il le répète lui-même, se trouve à la tête d’un budget qui lui est alloué par le plus gros constructeur de motos du monde.
Ce budget, qui doit être énorme, il peut et doit le dépenser de la manière dont il l’entend. Que ce soit pour du développement ou pour des tests pneumatiques, ça n’a aucune importance. Mais nous, les satellites, que ce soit LCR, Gresini ou Tech3, comment pourrions-nous seulement imaginer suivre ce géant ?
Ce qu’il propose va à l’encontre des impératifs que la situation économique nous oblige de rencontrer pour le bien de notre sport.
Lorsque Nakamoto évoque cette idée, n’est-ce pas, avant tout, une manière de faire trainer des discussions fondamentales, comme celle sur l’ECU standard ou la limitation du régime moteur avec lesquelles il n’est pas d’accord ?
Bien entendu, il introduit une idée sur laquelle on ne reviendra pas. Ce n’est pas un hasard si toutes les séries sont revenues au manufacturier unique. Que ce soit le MotoGP et les catégories inférieures, le Superbike, la F1…
Et puis, quand bien même nous déciderions d’ouvrir le marché, qui prendra le risque d’opter pour le nouvel arrivant ?
Les essais sont limités et même s’ils le sont moins que la saison dernière, ce ne serait pas suffisant pour rattraper un retard considérable sur Bridgestone.
Qui, aujourd’hui, opterait pour Michelin ? Certainement des petites écuries qui seraient heureuses de retrouver des budgets supplémentaires. Cependant, pour développer et obtenir un produit compétitif, vous avez besoin des meilleures motos avec les meilleurs pilotes assis dessus.
D’autant que Bridgestone semble avoir réalisé du bon travail puisque dernièrement, Valentino Rossi allait même jusqu’à déclarer que les pneus étaient trop parfaits…
Ils ont réalisé un excellent travail en tenant compte des remarques des pilotes et des teams. Ils sont revenus, en 2012, avec un pneu qui a extrêmement progressé par rapport à 2011.
Maintenant, quand on dit que le pneu est trop parfait, on ne peut pas non plus demander à Bridgestone qu’il fabrique un pneu de qualité moyenne qui se détériore plus vite. Si le MotoGP sert de vitrine aux constructeurs, il en va de même pour les manufacturiers. Demandez un peu à Honda de créer une moto moins performante, vous verrez la réponse !